LA PECHERIE MEDIEVALE
Les vestiges d’une pêcherie médiévale reposaient dans une dépression d’au minimum 100 m de large, encaissée dans des formations estuariennes de type tangue. Cette dépression, très probablement un paléochenal du ruisseau du Pont aux Oeufs, affluent de la Grise, est colmatée presque exclusivement par du sable dunaire, accumulé sur près de 7 mètres d’épaisseur.
Il s’agit d’un barrage destiné à piéger le poisson remontant ou descendant la rivière (saumons, anguilles, mulets…) : probablement une pêcherie en forme de V de type gord. Une ouverture dans l’axe du cours d’eau a certainement permis de disposer des filets ou une nasse afin de récupérer le poisson.
Les bois et autres vestiges organiques ont remarquablement été préservés à la fois par un enfouissement rapide, et surtout par la présence constante de l’eau dans ce chenal : en effet, la base des bois est située à une altitude moyenne de 3,50 m NGF, soit sous le niveau de la rivière actuelle, soit également à un niveau fréquemment recouvert par les moyennes marées et les marées de vives eaux.
Dans la partie découverte, le barrage est constituée de 3 poutres de chêne mesurant 12 mètres de longueur chacune, barrant l’ancien chenal. Ces poutres mises bout à bout étaient calées tous les 3 mètres par des pieux verticaux en chêne et des blocs de pierre. Dans la partie sud, manque probablement la première poutre partant de la berge.
La base de l’installation est constituée d’un merlon que l’on suit sur un axe rectiligne d’environ 45 m. On trouve dans ce merlon des blocs de roches locales (schiste, quartz…), aussi bien des galets que des blocs bruts non roulés. D’autres blocs sont brûlés, tandis que certains portent des traces de mortier de chaux. On trouve également quelques fragments de tuiles gallo-romaines ainsi qu’un bloc équarri de tuf. Il est donc probable qu’une partie au moins des blocs provienne du démantèlement d’un bâtiment plus ancien (gallo-romain ?).
Des blocs de tangue et des branches s’ajoutent aux blocs de pierre.
Au total, ce barrage a pu être observé sur une longueur de 35 m, près de 45 m si l’on prend en compte l’extension sud du merlon, où au minimum une poutre a été démantelée. L’installation a pu occuper la largeur totale du paléochenal qui n’est pas encore connue précisément, probablement près d’une centaine de mètres.
Ni l’alignement de poutre ni le merlon de pierre ne se prolongent vers l’est. Celui-ci a été très certainement démantelé par le courant.
Panneaux de clayonnage :
Des trous ont été creusés à la cuillère sur la partie supérieure des troncs, de manière à y installer de grands piquets qui servaient à supporter des entrelacs de branches de noisetier et de genêt. La hauteur de l’installation dépassait un mètre comme en témoigne la hauteur conservée d’un des pieux verticaux de la poutre n°1, mais le caractère imposant de l’installation peut laisser présager d’une hauteur pouvant dépasser 2 m.
Dès les premières découvertes, un échantillon de pieu vertical du tronc n°1 a été daté par la méthode du Carbone 14. Le résultat est : [890 – 999] après JC. Les datations dendrochronologiques sont plus fines et permettent de situer la construction de la pêcherie en 978.
Sources historiques
Pour la période qui nous concerne, La principale source est la charte de fondation de l’abbaye de Lessay (datée vers 1056). Mais les mentions de pêcheries sont régulières jusqu’au XVème s..
La charte de fondation de l’abbaye de Lessay (vers 1056) donnée par Richard Turstin Haldup, vicomte de Cotentin et baron de La Haye du Puits, Anne, sa femme, et Eudes au Capel leur fils, avec le consentement du duc Guillaume et par le conseil de Geoffroy de Montbray, évêque de Coutances, indique que les fondateurs donnèrent « tout ce qu’ils possédaient à Ourville et Avarville, en terres, bois, églises, terres cultivées ou landes, prés, eaux, et pêcheries. Ces donations sont à l’origine de la baronnie ecclésiastique d’Avarville dont le manoir est improprement appelé prieuré. Ce bâtiment existe toujours sur la commune de Saint-Lô-d’Ourville et se trouve à moins de 2 km à l’est du site de la pêcherie.
Les archives départementales de la Manche conservaient, avant les destructions de juin 1944, un registre du XVe siècle, le « Liber de Avarvilla » qui donnait en sa première partie « la déclaracion des fiefz, tènemens et libertés » de la baronnie d’Avarville extraite des « vieulles tonours et chartres d’icelle baronnie en l’an 1335 ». Ce document nous apprend que :
« Le fieu aux Ardents, le fieu Le Vavassout doivent, en la baronnie d’Avarville… aider à faire lapescherie de la mer… Les fieux Guillaume Louvet, aux Goupils, aux Flambards et Guillebert doivent service… à la pescherie… Les fieux Robert Angot doivent service… de la pescherie ; Pierre Labbé doit le service de pesquerie. Le fieu au Blanc, assis en Saint-Lô d’Ourville, au hamel d’Avarville, contenant 12 acres, est sujet au service de pesquerie comme il est accoutumé ».
C’est la dernière mention de pêcheries appartenant à la baronnie d’Avarville. La perte des Archives départementales en juin 1944 ne permet pas d’en savoir plus. Le site de Saint-Lô-d’Ourville offre une implantation topographique classique, en fond d’estuaire, à un emplacement où la rivière est encore suffisamment étroite pour y édifier un barrage et où la proximité immédiate du havre permet de bénéficier de la richesse halieutique de l’estuaire. Il est également implanté dans la section de rivière qui est franchie par le plus grande nombre de poissons appartenant à des espèces migratrices (tels que saumons, aloses ou anguilles).
La charte de fondation de l’abbaye de Lessay constitue une source exceptionnelle à partir de laquelle un lien semble donc possible avec le site littoral présenté ici. Les sources historiques indiquent cependant la présence de plusieurs installations dans ce même secteur et la datation du site par la dendrochronologie situe la mise en fonctionnement du barrage vers 978, soit quelques générations avant la donation de Turstin Haldup en 1056.